Toyin Sanni, CEO, Emerging Africa Capital Group
Toyin Sanni (de son nom complet Oluwatoyin Sanni) compte parmi les rares dirigeants nigérians à avoir effectué tout son parcours scolaire dans son pays natal. Pas de King’s College (Royaume-Uni) ni de George Washington University (États-Unis) sur son CV, ces établissements si prisés des élites nigérianes. Après des études de droit et un master obtenu à l’Université de Lagos, elle opte très vite pour le secteur de la finance. Et, dès le début des années 2000, se spécialise dans les marchés de capitaux et collabore avec, entre autres, les banques nigérianes First Bank Group et United Bank for Africa. Avant sa nomination, en 2018, au poste qu’elle occupe actuellement, elle fut PDG de United Capital Trustees Limited, une filiale du groupe Emerging Africa Capital. Nommée en 2014 par le Nigerian Stock Exchange parmi les 25 CEO nigérians les plus importants, elle est devenue en Afrique une figure de la finance qui compte. Après son passage, au début de juin, dans le webinar de l’Africa CEO Forum « Fusions et acquisitions pendant le Covid-19 : un vrai casse-tête », elle a accepté de nous livrer sa vision du business sur le continent et de partager son engagement pour le leadership féminin.
Êtes-vous heureuse d’être une femme d’affaires en Afrique ?
Oh oui ! Extrêmement heureuse. L’Afrique regorge d’opportunités en matière de business. Et l’idée d’inspirer les femmes africaines, de leur montrer qu’elles peuvent avoir le même type de parcours que moi, est très stimulant.
D’après une étude récente du cabinet de conseil Boston Consulting Group, s’il y avait autant de femmes entrepreneurs que d’hommes entrepreneurs dans le monde, le PIB global pourrait augmenter de 6 %. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis totalement en accord avec les conclusions de cette étude. Elle vient en confirmer d’autres avant elle sur le même sujet, comme celle de McKinsey. Il y a un énorme déséquilibre dans la répartition des richesses dans le monde, et cela est en partie dû au fait que femmes et hommes ne sont pas traités de manière égale. Ce fossé pourrait être réduit si les femmes participaient au même niveau que les hommes au développement économique. À mon échelle, j’aimerais faire partie de la solution à ce problème. D’abord par l’exemple, en inspirant les femmes et en les motivant à atteindre leurs objectifs, mais aussi en les aidant concrètement à occuper des positions de leadership au sein de mon entreprise.
Selon vous, le leadership féminin existe-t-il ?
Leadership is leadership. C’est-à-dire la capacité à influencer les autres de telle sorte qu’ils accomplissent les objectifs fixés. Hommes et femmes peuvent être de bons leaders. Je ne crois donc pas à l’existence d’un leadership féminin.
Avez-vous eu le sentiment de rencontrer des obstacles spécifiques au cours de votre carrière du fait de votre genre ?
Évidemment. Comme toutes les femmes, j’ai à un moment ou à un autre été discriminée, sous-estimée ou déconsidérée du fait de mon sexe. Nous vivons dans une société patriarcale où ces obstacles sont quotidiens.
Quelles sont vos responsabilités dans votre poste actuel ?
Le rôle d’Emerging Africa Capital consiste à lever des fonds pour les gouvernements, les entreprises, les institutions et les ménages. En tant que PDG, ma responsabilité principale est de créer des relations d’affaires afin d’accroître les revenus du groupe et d’élaborer la stratégie de nos différentes branches.
Pensez-vous qu’il soit plus difficile d’être une femme dans le monde du travail en Afrique qu’ailleurs ?
Oui, car les barrières traditionnelles sont encore très présentes, même si cela peut varier fortement d’une région à une autre et d’une culture à une autre. Les faits sont têtus : les plus grandes entreprises d’Afrique sont toutes dirigées par des hommes. L’accès aux financements y est par exemple plus ardu pour les femmes que pour les hommes, car nous, les femmes, ne sommes pas naturellement associées au monde de l’entreprise et du management. Pourtant, il a été prouvé qu’une même entreprise est plus performante quand elle est dirigée par une femme !
Existe-t-il une stratégie de genre dans votre entreprise ?
Notre principale stratégie est de s’assurer que les femmes et les hommes soient également représentés à tous les niveaux de l’entreprise. Au sein des différents conseils d’administration, nous avons l’obligation qu’au moins 40 % des membres soient des femmes. Sur quatre conseils d’administration, nous sommes très fiers d’avoir trois femmes présidentes. Et cette loi des 40 % s’applique à tous les niveaux de management. En matière de recrutement, nous appliquons une politique du 50-50 entre hommes et femmes. Enfin, nous soutenons et finançons prioritairement les entreprises créées par des femmes.
Quels sont pour vous les principaux défis pour l’Afrique avec la crise du Covid-19 ?
Tout d’abord, la sensibilisation. Beaucoup de personnes sur le continent ne saisissent pas encore la gravité de la crise du coronavirus et doutent même de son existence. Il faut absolument travailler sur ce point, mais également sur le comportement à adopter pour réduire les risques de propagation, comme le respect des gestes barrières, qui reste encore superficiel dans beaucoup de régions. Ensuite, il y a un énorme déficit en matière d’infrastructures sanitaires, de personnel soignant et de médicaments. Le continent ne peut faire face sereinement à une crise comme celle-ci avec les moyens actuels.
Professionnellement, avez-vous un modèle féminin qui vous inspire ?
J’en ai beaucoup ! Dans le domaine de la banque, j’admire beaucoup Ibukun Awosika, la présidente de la First Bank of Nigeria, et Carla Harris, qui est directrice de la banque américaine Morgan Stanley. J’admire ces femmes qui combinent différents rôles dans leur travail en plus de celui de mère de famille. C’est ce que j’essaye de faire moi aussi. J’ai également beaucoup d’admiration pour Folorunsho Alakija – une femme d’affaires nigériane ayant fait fortune dans le pétrole – car elle a eu énormément de succès professionnels tout au long de sa vie. Elle est d’ailleurs parmi les femmes les plus riches du continent.
Et votre modèle masculin ?
Tony Elumelu, qui a été un de mes patrons. Je l’admire pour ses qualités de leader et son impact positif dans l’entrepreneuriat au Nigeria.
Y a-t-il une entreprise africaine que vous admirez ?
Il y en a plusieurs. Je les admire car elles ont été capables de s’exporter à travers le continent et/ou à travers le monde. Je pense notamment à Dangote Group, United Bank, Transcorp PLC…
Êtes-vous active au sein d’une association, d’un réseau féminin, ou comme mentor ?
Oui ! J’ai fondé Women in Finance Nigeria en 2016. Le but est d’aider les femmes à se hisser à des postes de leadership dans le domaine très masculin de la finance. Je suis également membre du programme Women Working for Change de l’Africa CEO Forum, et je suis très fière d’y être ambassadrice pour le Nigeria.
Quelle jeune femme étiez-vous à 20 ans ?
J’étais très curieuse, toujours en train de poser des questions, j’avais soif de savoir. J’ai terminé mes études universitaires à 18 ans, j’ai commencé à travailler à 20 ans, et j’étais déjà déterminée à avoir une belle carrière.
Êtes-vous arrivée là où vous vouliez être?
À plusieurs points de vue, oui, je suis là où j’ai toujours eu envie d’être. Mais, maintenant, je veux plus ! Je pense avoir les capacités pour faire plus. J’ai le désir d’influencer en dehors de mon industrie et en dehors de mon pays, sur le continent tout entier. L’Africa CEO Forum est la plateforme qui me permet de commencer à aller dans ce sens.
Quel livre/film/série/disque vous a le plus marquée ?
La Bible. Elle a influencé ma vie entière. La source de ma force dans mon travail et dans la vie de tous les jours est ma foi. Ma connexion avec Dieu m’a permis d’atteindre tous mes objectifs.
Que faites-vous pour vous détendre après une journée de travail ?
Je regarde des films, j’écoute beaucoup de musique. J’adore lire également.
Quel est le pays d’Afrique que vous aimeriez visiter ?
La Tanzanie, où je ne suis jamais allée. Zanzibar me donne aussi vraiment envie !