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Diversité en entreprises : « Pour un engagement volontaire des CEO »

20 janvier 2022

Lamia Merzouki, Vice-Présidente de Women Working for Change et Directrice générale adjointe de Casablanca Finance City Authority   

  

Lamia Merzouki ne s’arrête jamais. Bourreau de travail et femme engagée, la Marocaine cumule les postes à haute responsabilité sans jamais se départir de son sourire franc et optimiste. Directrice générale adjointe de Casablanca Finance City Authority depuis 2010, on lui connaît au moins deux chevaux de bataille chevillés au corps : l’inclusion des femmes et le développement durable.    

Vice-Présidente de l’initiative panafricaine dédiée aux femmes dirigeantes, Women Working for Change, elle est aussi depuis trois ans l’ambassadrice au Maroc de l’AFRICA CEO FORUM et vient de créer l’association We4She – qu’elle dirige, dédiée à l’inclusion professionnelle des femmes marocaines. Insatiable, elle a été élue en 2020 co-présidente du Réseau des Centres Financiers Verts (FC4S). Avant de multiplier les fonctions, celle qui est diplômée de Harvard et l’ESSEC a débuté sa carrière au sein du cabinet Arthur Andersen à Paris. Elle a ensuite rejoint le ministère marocain de l’Agriculture pour travailler sur le Plan Maroc Vert et la stratégie de développement de la Région Souss-Massa-Drâa.   

C’est évidemment avec elle et un plaisir non dissimulé que nous débutons notre série d’interviews dédiées aux femmes dirigeantes.   

  

Lamia Merzouki, vous êtes en faveur d’une meilleure représentativité des femmes au sein du secteur privé africain. Quel principe sous-tend cet engagement ?    

Je suis en faveur d’un ruissellement féminin depuis les conseils d’administration jusqu’à toutes les strates du monde de l’entreprise. A l’instar de la France avec la loi Copé-Zimmermann de 2011 – qui impose 40% de femmes dans les conseils d’administration, le Maroc a récemment adopté des mesures de mixité dans la gouvernance des entreprises avec la réforme de la loi sur les sociétés anonymes de juillet 2021. L’objectif est un quota d’au moins 30% de femmes dans les conseils d’administration d’ici janvier 2024 et 40% d’ici 2027. Ce sont des initiatives que je soutiens et qui représente une véritable avancée.  

Quels sont les objectifs de l’association We4She que vous venez de créer en 2021 ?    

Notre vocation première est d’améliorer la représentativité des femmes à tous les niveaux de l’entreprise, que ce soit dans les CA, mais également dans les comex et autres instances dirigeantes 

Ce “We” est un nous qui se veut inclusif et concerne autant les hommes que les femmes. Nos missions reposent sur quatre piliers : le parrainage, le lobbying, l’accompagnement/développement personnel des femmes et enfin leur autonomisation économique.   

Vous insistez particulièrement sur cette notion de “parrainage” (sponsorship en anglais). Pourquoi ?  

Le vrai besoin pour les femmes de haut niveau qui veulent accéder aux postes de responsabilité, ce sont les réseaux. Et les femmes doivent encore apprendre à s’en construire et à les utiliser. Les réseaux représentent un formidable accélérateur de carrière professionnelle. Si les hommes conservent l’essentiel du pouvoir, c’est aussi parce qu’il existe des clubs au sein desquels se pratiquent les renvois d’ascenseur. Une pratique beaucoup moins courante chez les femmes. Des études menées au Moyen Orient et en Afrique du Nord par l’Onudi confirme que les réseaux de contacts sont parmi les facteurs les plus importants de la réussite entrepreneuriale des femmes. Au sein de WFC comme de We4She, nous sommes toutes des femmes dirigeantes. Nous connaissons plein de monde. Nous pouvons ouvrir nos carnets d’adresses aux autres femmes.     

En quoi consiste les trois autres piliers ?   

Nous pratiquons le lobbying aux plans business et réglementaires en utilisant la charte du genre établie par l’initiative Women Working for Change qui promeut la mixité dans le recrutement, l’équité de rémunération, la mixité du management, et la mixité au sein des conseils d’administration. Nous accompagnons aussi le développement personnel des femmes, notamment en les éveillant aux biais cognitifs et aux croyances qui limitent leur réussite en entreprise. Enfin, nous menons des actions en faveur de l’autonomisation économique de la femme marocaine. Il s’agit ici de faire bénéficier le plus grand nombre de femmes marocaines de nos compétences, de notre expertise, surtout de notre réseau.    

Malgré la multiplicité des études qui ont démontré les bénéfices de davantage de diversité au sein des conseils d’administration, et plus largement dans l’ensemble des services des entreprises, le secteur privé africain reste réticent sur cette question. Comment l’expliquez-vous ?   

Le chemin est très long pour faire bouger les lignes. Beaucoup promettaient que les études que vous évoquez permettraient une promotion naturelle des femmes. Eh bien, il faut se rendre à l’évidence : ça n’a pas été le cas ! La seule manière de rattraper le temps perdu, c’est de mettre des quotas. Ces transformations s’opèrent dans le temps long et les quotas font partie de la solution. En France, la loi Copé-Zimmermann a eu les effets escomptés dans les conseils d’administration mais pas dans les strates inférieures. Faut-il dès lors imposer des quotas partout comme cela vient d’être le cas via la loi Rixain en décembre 2021 en France ? En tout cas, en dehors de quelques exceptions à travers le continent, la plupart des entreprises n’ont pas évolué sur cette question.   

Y a-t-il malgré tout des pays qui s’en sortent mieux que d’autres ?    

Il y a déjà une grande différence entre les pays anglophones et francophones. Les anglophones sont beaucoup plus en avance. Dans les cas du Rwanda, de l’Afrique du Sud ou de la Namibie, les femmes sont très présentes. En revanche, dans les pays francophones, cela reste problématique. En Afrique, les femmes doivent se débrouiller par elles-mêmes. La preuve : l’Afrique est le premier continent de la planète pour l’entrepreneuriat féminin, avec un quart des femmes en âge de travailler qui ont créé une entreprise ! Moins de 10% des femmes en Afrique sont salariées.    

Ces deux dernières années, dans le monde de la finance, et particulièrement au Nigeria, des femmes ont été nommées à la tête de grandes institutions financières comme Nneka Onyeali-Ikpe (Fidelity Bank), Halima Buba (SunTrustBank), Miriam Olusanya (GT Bank) ou Yemisi Edun (First City Monument Bank) ? Se passe-t-il quelque chose dans ce secteur en particulier ?  

D’après le rapport Women in Financial Services 2020, seuls 6% des CEO des entreprises de services financiers sont des femmes. Partout dans le monde, les femmes sont sous-représentées dans le secteur de la finance et elles occupent encore moins les postes de direction. Mais il y a en effet une tendance favorable aux femmes qui remonte au début des années 2000, avec une augmentation de la proportion de femmes au sein des comités exécutifs des sociétés de services financiers. Il y a plusieurs exemples en Afrique tels que la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, première femme nommée à la tête de l’OMC en 2020, et même au Maroc, en 2021, avec Nadia Fettah, première femme ministre de l’Economie et des Finances. Le FMI a découvert que les institutions financières avec une plus grande part de femmes administratrices auraient des capital buffers (i.e réserves bancaires obligatoires) plus élevés, une proportion plus faible de créances douteuses et une meilleure résistance aux tensions. C’est un argument fort en faveur de cette évolution. 

La crise de la Covid a-t-elle eu un impact sur les inégalités hommes/femmes sur le continent ?    

Oui. Cette crise les a aggravées. Une grande majorité des aides déployées en faveur des entreprises ont été dirigées vers le secteur formel. Or, près de 90% des femmes africaines travaillent dans le secteur informel. Elles sont donc très vulnérables mais ont été très peu aidées. Avec la crise, la concurrence s’est aussi révélée encore plus impitoyable avec peu de postes disponibles. La femme est donc devenue une variable d’ajustement, notamment dans les pays où l’écart entre les sexes était déjà défavorable. Or, d’après une étude des Nations Unies parue à l’été 2021, maintenir les femmes à l’écart des postes décisionnels essentiels risque de compromettre la reprise post-Covid. De nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une reprise inclusive et durable mais pas suffisamment en ce qui concerne la promotion des femmes aux postes décisionnels.  

L’accès au financement est un des freins majeurs pour les femmes qui se lancent dans la création d’entreprise. Comment faire pour le faciliter ?  

Déjà, pour avoir accès à des financements, il faut posséder un compte bancaire. Or, d’après la Banque Mondiale, seulement 37% des femmes africaines ont un compte bancaire contre 48% des hommes. Il faut donc d’abord accroître leur inclusion financière. Et cela passe en premier par des actions au niveau des Etats, à travers des politiques et des réglementations. Différentes initiatives ont par ailleurs déjà été lancées en la matière comme le programme Affirmative Finance Action for Women in Africa (AFAWA) de la BAD, qui vise à combler le déficit de financement estimé à 42 milliards de dollars qui affecte les femmes en Afrique. Une autre manière de favoriser cet accès ce sont les fonds d’investissement dédiés aux femmes, comme par exemple le fonds Janngo (fonds franco-ivoirien de capital-risque créé par la Sénégalaise Fatoumata Ba), dirigé par des femmes et qui investit dans des start-ups fondées, co-fondées ou bénéficiant à des femmes. Enfin, les banques, les institutions financières peuvent jouer un rôle en créant des procédures favorables aux femmes comme la réduction des exigences de garantie et l’inclusion d’autres formes de garantie plus accessibles ou en développant des produits et services fiables destinés aux femmes et qui répondent à leurs besoins spécifiques.   

Existe-t-il une stratégie de genre dans votre entreprise ?   

A CFC, nous avons une politique de ressources humaines volontariste avec un suivi continu du ratio hommes-femmes et des mesures spécifiques dédiées aux femmes comme l’aménagement du temps de travail pour les jeunes mamans. Ici, l’engagement de notre CEO est très important. Cette politique est un facteur de rétention de talents considérable.  

Quel type de manager êtes-vous ?  

Je suis très proche de mes équipes et je suis pour l’authenticité et la transparence du dirigeant. Je pense vraiment que les solutions peuvent venir de toutes parts et pas toujours d’en haut. La crise d’aujourd’hui est multidimensionnelle et il est difficile d’avoir une vue holistique et complète. Je crois beaucoup en la force des équipes et l’intelligence collective, qui permet de faire émerger une capacité d’innovation beaucoup plus intéressante. Grâce à un vrai travail d’équipe, nous avons pu transformer cette crise en opportunité à bien des égards.  

A titre personnel, qu’est ce qui a été déterminant dans votre parcours qui peut expliquer votre réussite au sein d’un monde de la finance très masculin ?   

J’ai eu la chance de côtoyer des CEO pour qui la compétence prime. Et cet engagement au plus haut niveau compte énormément. Mais ce que je retiens le plus, c’est d’avoir travaillé sur moi-même et d’avoir accompli un véritable cheminement personnel. L’enjeu, c’est de prendre sa place avec confiance, détermination et assertivité. Cela requiert un gros travail sur sa sécurité intérieure, un chemin de développement personnel afin de dépasser toutes les croyances qui nous limitent.   

Quelle méthode avez-vous employé pour accomplir ce chemin ?    

Je pratique près de deux heures par jour le yoga et la méditation depuis une quinzaine d’années. La méditation permet de prendre de la hauteur face aux situations du quotidien. Au début de ma carrière aussi, j’ai été coachée. A cette époque, j’avais 27 ans et je collaborais avec des hommes de plus de 40 ans. Cela m’a tellement aidé que je suis moi-même devenue coach.   

Avez-vous des astuces à partager afin d’affronter des milieux professionnels très masculins ?     

La première chose est de ne pas être dans l’affrontement, mais dans la conscience de ce qu’il est possible de faire à son niveau. Admettre que nous ne sommes parfois pas les détentrices de la décision mais se forcer malgré tout à émettre son point de vue, avec assertivité. Il faut savoir faire preuve de philosophie d’où l’importance du travail sur soi.