Quel est l’impact social de la crise actuelle selon vous, et en particulier sur les femmes ?
Je vois un fossé s’élargir entre les milieux rural et urbain. En milieu rural, les écoles ont fermé. Or, pour des millions de femmes et d’enfants, les services de remplacement n’existaient pas : électricité, ordinateur, internet pour l’enseignement à distance… Les quartiers pauvres des grandes villes ont également été confrontés à ce type de problèmes, ce qui désigne une autre fracture, à l’intérieur même des villes. Il s’agit là de questions structurelles d’inégalités et de droits sociaux que nous devons régler rapidement, en particulier pour les femmes, qui sont bien souvent en première ligne sur ces sujets.
Comment ?
Les crises profondes comme celle-ci sont aussi des temps d’immenses opportunités. Pour la cause des femmes, plutôt que de poursuivre des stratégies qui ont déjà échoué, il est temps de changer radicalement de méthode. Il est difficile de tout conduire partout en même temps. Il faudrait donc sélectionner quelques pays et définir des objectifs concrets pour le progrès socio-économique des femmes. Ceci dans des secteurs bien définis comme les mines, la construction, l’éducation ou encore le monde politique. Il faudrait ensuite déterminer des cibles d’action avec un calendrier de mise en œuvre en mobilisant les militants de droits sociaux, le monde de l’entreprise, les dirigeants politiques… Les recommandations générales ne suffisent plus.
Quelles sont les barrières qui demeurent pour atteindre l’égalité femmes-hommes ?
Elles restent nombreuses à commencer par les barrières psychologiques chez les hommes… mais aussi chez les femmes, dont certaines estiment, hélas ! qu’elles ne peuvent accéder à toutes les fonctions, y compris les plus hautes. C’est faux ! Il faut abattre ces barrières une par une. Cela demande d’agir concrètement. C’est ce que j’avais fait au Mozambique avec mes équipes avec le concours de l’Unicef sur l’éducation des filles dans l’enseignement primaire. Il convient d’avoir des données précises pour déterminer les freins, y compris familiaux, afin de trouver les bons leviers d’action.
Et dans le monde de l’entreprise ?
C’est la même chose. Il faut définir des indicateurs précis pour savoir comment atteindre notre but d’égalité : quelle est la proportion de femmes dans les organes de direction ? au sein des conseils d’administration ? dans l’encadrement à tout niveau ? Je l’ai fait avec succès au Kenya où nous avons mis au défi toutes les grandes entreprises du pays. Nous leur avons montré qu’il était de leur intérêt, y compris en matière de performance, de changer. Nous avons même proposé des noms de dirigeantes. Il s’agit d’actions très concrètes. Les généralités, encore une fois, ne suffisent pas. Appuyons-nous aussi sur les bonnes pratiques comme celles du groupe Ecobank qui est parvenu à promouvoir massivement des femmes et faisons-en sorte que d’autres tirent les leçons de ce type d’action.
En conclusion…
Il ne faut pas seulement fixer des objectifs mais donner le chemin pour les atteindre dans une durée déterminée. Je suis certaine que les femmes sont prêtes. C’est ce que je dis aux jeunes femmes, dans le monde des affaires notamment : vous avez les compétences, surtout n’hésitez plus à les faire valoir.