WFC Mag'

« Nous verrons bientôt des femmes CEO dans tous les secteurs »

18 novembre 2022

Addy Awofisayo, Directrice Musique, Afrique sub-saharienne, YouTube 

Addy Awofisayo évolue dans une jeune industrie qui grandit rapidement. Selon Statista, le streaming musical en Afrique a généré 241 millions de dollars en 2021, mais devrait atteindre un taux de croissance annuel moyen de 13 % et peser 484 millions de dollars en 2026. Diplômée de Harvard et de l’université de Virginie, la Directrice Musique pour l’Afrique subsaharienne chez YouTube et YouTube Music depuis septembre 2021 a rejoint la plateforme américaine après avoir travaillé pour Microsoft et CBS, l’un des premiers réseaux de radio et de télévision aux États-Unis. Dans le cadre de l’initiative Women Working for Change (WFC), la Nigériane a accepté de discuter du rôle des femmes dans le monde du travail en Afrique. Elle explique comment les jeunes femmes peuvent s’affranchir des stéréotypes de genre et comment l’industrie musicale peut aider les artistes féminines à obtenir la même visibilité que leurs homologues masculins. 

 

Women Working for Change : Malgré de nombreuses études montrant les avantages de la diversité des genres dans les conseils d’administration et à tous les niveaux de l’entreprise, le secteur privé africain reste encore réticent en la matière. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? 

 

Addy Awofisayo : La plupart des cultures africaines suivent encore un modèle patriarcal, notamment en termes de pouvoir et de statut. On entend encore des histoires d’hommes qui refusent de rendre compte à des femmes managers parce qu’ils pensent que leur place n’est pas au bureau. Cette mentalité impacte le secteur privé. Est-ce que cela va changer ? Peut-être, mais pas aussi rapidement que nous le souhaitons, même si nous voyons de plus en plus de femmes au pouvoir, notamment des PDG et des présidentes. D’ailleurs, l’Afrique est peut-être le continent avec le plus de femmes chefs d’Etat. Les mœurs changent, surtout avec la nouvelle génération. Les jeunes sont plus exposés aux médias et ont une mentalité différente en ce qui concerne l’égalité des sexes. Mais les anciennes générations ont encore des préjugés liés au genre, et même à l’âge. Certains pensent qu’il faut réserver les postes à responsabilités aux personnes d’âge mûr.  

 

Observez-vous des changements au Nigeria en la matière ? 

Oui, les mentalités évoluent au Nigeria, même si cela est trop lent à notre goût. Mais il y a de plus en plus de femmes au pouvoir. Les jeunes femmes savent désormais qu’elles peuvent occuper de hauts postes. Par exemple, Miriam Olusanya est devenue la première femme PDG de la Guaranty Trust Bank (GT Bank) en juillet 2021. Il s’agit de l’une des plus grandes banques d’Afrique. Et dans le secteur bancaire, elle n’est pas un cas isolé. Ces derniers mois, pas moins de sept femmes ont été nommées PDG de banques nigérianes. Toutes ces banques existent depuis 25-30 ans et viennent d’avoir leur première femme PDG. Je pense que nous verrons bientôt davantage de femmes PDG dans des secteurs comme les biens de grande consommation, l’éducation et l’hôtellerie. 

 

La pandémie de COVID-19 a-t-elle eu un impact sur les inégalités hommes/femmes en Afrique ? 

Les enfants ont dû rester à la maison et les femmes ont géré l’organisation quotidienne. Tout le monde s’est retrouvé coincé chez soi et cela a mis encore plus de pression sur les femmes avec enfants. Je pense que la pandémie nous a révélé encore davantage l’inégalité entre les sexes. Cela a été très difficile à vivre pour de nombreuses femmes. 

 

Quelle est la situation dans le milieu de la création artistique ? 

Il s’agit probablement du milieu professionnel qui inspire le plus de femmes sur le continent. Dans l’industrie cinématographique, nous avons des réalisatrices, comme Kemi Adetiba au Nigeria, qui a réalisé King of Boys, ou Nosipho Dumisa en Afrique du Sud, qui produit Blood and Water sur Netflix. De plus en plus de femmes travaillent dans le secteur de la création. C’est ce qui se passe actuellement avec YouTube. Nous brisons les barrières plus rapidement que les autres industries. La disparité entre les hommes et les femmes reste une réalité, mais plus nous aurons de femmes au pouvoir, aux postes de réalisateurs ou de producteurs exécutifs, plus nous parviendrons à l’égalité des sexes. En tant que femmes, nous devons travailler deux fois plus dur pour avoir une certaine visibilité. 

 

Et dans l’industrie musicale ? 

Les femmes y sont de plus en plus nombreuses en Afrique. Les chanteuses, surtout les jeunes femmes comme Tems au Nigeria, gagnent en popularité. Chez YouTube, nous veillons à les soutenir. Mais la scène musicale africaine reste encore largement dominée par les hommes. Si je demande à quelqu’un de citer cinq artistes africains, ce ne sont pas des noms de femmes qui lui viendront en premier à l’esprit. Nous devons en faire plus pour soutenir les artistes féminines et permettre aux gens de découvrir leur musique. 

 

Comment renforcer leur visibilité ? 

Nous soutenons un programme lancé par une organisation appelée Bright’s One. Elle offre des opportunités aux auteurs-compositeurs et aux producteurs féminins du Nigeria. Bright’s one possède un programme qui accompagne 10 femmes grâce à un système de mentorat, de formation, et même des subventions pour leurs projets. YouTube a annoncé qu’il soutenait ce programme en novembre dernier. Il faudrait plus d’initiatives du genre dans l’industrie pour émanciper les femmes et leur donner des compétences. 

 

Quel type de manager êtes-vous ? 

Je suis très exigeante. Un de mes managers, l’un des meilleurs, me poussait toujours à donner le meilleur de moi-même. Je veux à mon tour être un manager qui sait à la fois vous soutenir et repousser vos limites, quel que soit votre sexe. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir de grands managers qui m’ont très bien accompagnée. J’ai aussi eu des modèles féminins forts comme ma mère. Grâce à elle et à mon père, j’ai appris à croire en moi et en mes capacités. Si vous travaillez dur, vous pouvez atteindre vos objectifs. Lorsque je commence à douter de moi, je reviens toujours à cela. Parfois, il faut sortir de sa zone de confort pour gagner en confiance. 

 

Jouez-vous un rôle de sponsor auprès des jeunes femmes ? 

Oui, mais pas autant que je le souhaite. C’est grâce à ma nièce, qui a 18 ans et va à l’université, que j’ai commencé à me considérer comme un mentor. Je sais quelle influence ont sur moi ma mère et les grandes figures féminines autour de moi. Je veux avoir la même importance pour ma nièce et les jeunes femmes qui m’entourent. C’est pour cette raison qu’il est si important de célébrer les femmes qui sont au pouvoir. Cela montre aux plus jeunes qu’elles peuvent être ambitieuses. 

 

Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui évoluent dans des environnements professionnels très masculins ? 

Je leur conseille de rester fidèles à elles-mêmes. Parfois, nous essayons de changer qui nous sommes pour mieux nous intégrer. Je pense que mon authenticité est ce qui me rend si efficace au travail. Notre individualité fait toute notre valeur.