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Nous devrions tous apprendre des femmes dirigeantes (africaines) !

12 février 2020

La série sur les outils du changement

Le brouillard où tout a commencé

Un samedi matin sombre avec un épais brouillard, j’étais assise à l’arrière d’une voiture allant de Marrakech à Ben Guerir, une petite ville dans le centre du Maroc. Avec mon mari et un ami qui se trouve être un associé dans un cabinet de conseil de premier plan, nous nous rendions à Nabni, un événement de leadership pour les jeunes organisé par une association qui applique des méthodes d’apprentissage innovantes. Alors que j’étais occupée à revoir le programme défini par ces jeunes leaders que j’accompagne dans leur développement, j’ai entendu mon ami dire: «J’envie ma femme, et les femmes en général, d’être en mesure de prendre du temps pendant leurs congés de maternité. Cela leur permet de prendre du recul par rapport à leur carrière et de prendre du temps de réflexion… »

J’ai arrêté tout ce que je faisais, plongée un brouillard intérieur aussi épais que celui qui nous entourait. En interrogeant ce sentiment brumeux, je me suis rendue compte que c’était la première fois que j’entendais un homme d’affaires africain prospère désirer quelque chose que seules les femmes avaient. 

Les discours et les témoignages réguliers que j’entendais dans les grandes entreprises portaient en effet davantage sur les défis auxquels nous, les femmes, sommes confrontées en tant que leaders, surtout lorsque nous devenons mères :

  • Même si nous commençons notre carrière de manière égale aux hommes, nous ralentissons lorsque nous devenons mères non seulement parce que nous prenons un congé de maternité mais aussi parce que nous sommes censés prendre du temps avec notre premier enfant ;
  • Entre deux enfants, nous nous remettons sur les rails, mais les promotions se font plus rares parce que tout le monde s’attend à ce que nous nous arrêtions à nouveau pour un deuxième enfant ;
  • Lorsque nous parvenons à trouver un équilibre acceptable entre notre vie familiale (avec un ou plusieurs enfants) et notre carrière, nous devons nous battre et prouver plus fortement que jamais que nous sommes prêtes à atteindre le sommet ;
  • Celles d’entre nous qui parviennent au sommet reconnaissent qu’elles ont bénéficié du soutien inconditionnel de leur partenaire, de leur famille ou d’une aide professionnelle, ce qui leur a permis d’organiser (et de déléguer) leur vie familiale tout en se concentrant entièrement sur leur carrière à des moments critiques.

J’ai compris à partir de ces témoignages que le parcours des femmes vers le sommet était plein de compromis : nous voulions tout, mais nous ne pouvions pas vraiment tout avoir !

Cette conversation brumeuse avec mon ami m’a ouvert l’esprit et m’a aidée à remettre l’ histoire en perspective. En plus de lire des articles ainsi que des livres sur le leadership et le genre, j’ai commencé à interroger les hommes et les femmes leaders autour de moi pour recueillir leurs points de vue sur ce qu’ils aimeraient apprendre des femmes leaders. 

Voici les trois enseignements clés que j’ai recueillis :

Nous devrions tous développer les compétences en leadership que les femmes développent et utilisent

Selon le rapport Women Matter 2 de McKinsey, les dirigeantes appliquent plus souvent que les hommes 5 sur 9 des comportements de leader qui améliorent les organisations : développement des personnes, gestion des attentes et valorisation, exemplarité et prise de décision participative.

Nous pouvons ajouter à cela que selon l’étude HBR , les femmes dépassent les hommes dans « 17 des 19 capacités qui différencient les excellents dirigeants des leaders moyens » : prendre des initiatives, être résilient, pratiquer le développement personnel, être orienté résultats, faire preuve d’une grande intégrité et honnêteté.

Lorsqu’on demande aux hommes dirigeants africains comment les femmes pourraient les aider à développer ces compétences et à améliorer les organisations, ils ont suggéré ce qui suit.

Tout d’abord, participer plus activement au processus décisionnel, s’exprimer et défendre leurs points de vue ; les femmes sont notamment plus inclusives intégrant au processus décisionnel des profils plus variés favorisant la diversité tant en matière de genre que d’âge, mais aussi en termes de domaine d’intervention : académique, culturel et social.

Ensuite, les femmes peuvent être des modèles et partager explicitement leurs parcours de leadership avec leurs équipes et collègues, pas seulement dans le cadre d’ événements de leadership ou de mentorat de femmes.

Enfin, les femmes doivent prendre le lead sur des initiatives inclusives  centrées sur les personnes, en les plaçant en tête des priorités de leurs organisations, par exemple : développement fondé sur les forces, diversité, bien-être au travail, etc.

Il existe des études sur les compétences uniques des femmes en matière de leadership mais j’espère que les femmes prendront elles-mêmes la responsabilité de s’exprimer, de donner du pouvoir à d’autres hommes et femmes et de transformer les organisations africaines pour le mieux. 

Nous devrions tous avoir des chemins de carrière créatifs et flexibles (versus simples et rectilignes) vers le haut

Alors que la loi et la société autorisent les femmes à interrompre leur carrière lorsqu’elles deviennent mères, on n’attend pas la même chose des hommes.

Dans un rapport de 2013 sur la maternité et la paternité au travail, ILO montre que la moitié des pays africains n’accordent pas de congé de paternité payé aux pères tandis que l’autre moitié leur accordent moins de 10 jours (à l’exception du Kenya). Dans la majorité du continent, les femmes bénéficient de 12 à 17 semaines de congé de maternité payées.

Bien sûr, cela ne suffit pas et nous devons aspirer à rejoindre les pays les plus performants qui accordent plus de 18 semaines de congé de maternité payées. Cependant, c’est une excellente opportunité pour nous de prendre une pause dans nos chemins de carrière préconçus pour nous demander où nous voulons aller et comment nous voulons y aller.

J’ai demandé aux dirigeantes africaines « comment elles ont recadré leur carrière après avoir été mamans » et j’ai découvert que :

10 % ont pris beaucoup de congés (6 à 18 mois) à des moments importants de la vie de leurs enfants et de leur famille, par exemple : lorsqu’elles devaient installer leur famille dans une autre maison, ville ou pays; ou lorsque leurs enfants avaient atteint des phases académiques critiques. Après leur congé, certaines ont décidé de reprendre leur carrière dans les mêmes entreprises qui ont permis cette flexibilité, d’autres ont changé d’entreprise sans compromettre leur statut.

 40 % ont changé d’emploi au sein d’une même entreprise, profitant de l’occasion pour capitaliser sur leur leadership tout en prenant de nouveaux rôles, par exemple dans la gestion des personnes, l’apprentissage et les projets transversaux tels que le bien-être au travail et la diversité du genre. Une femme de 35 ans m’a parlé de son changement de piste : « Quand mon premier fils s’est brûlé la main, j’ai pris près d’un an de congé pour m’assurer qu’il se rétablisse bien. Quand je suis revenue au travail, j’ai changé de voie pour un rôle à temps partiel en tant que chef du recrutement. Cela m’a permis d’apprendre un nouveau domaine et de relever des défis que je n’aurais pas relevés auparavant ».

40% ont créé leur propre entreprise, prenant le risque d’associer leur rêve et leur passion avec un mode de vie plus flexible. Une mère de deux enfants, âgée de 40 ans, m’a parlé de la création de son entreprise de travaux manuels après avoir abandonné une carrière dans la finance chez Total : « J’ai réussi à concilier ma passion pour les travaux manuels et mes compétences en finance et en gestion pour créer ma propre entreprise, tout en étant à la maison tous les jours quand mes enfants reviennent de l’école ». Ce choix permet aux femmes entrepreneurs de maintenir leurs activités à un niveau acceptable lorsque leurs enfants sont jeunes, puis d’accélérer et de développer leur entreprise le cas échéant.

Je ne savais pas que les hommes enviaient cette opportunité que nous avons jusqu’à ce que mon ami me dise cela lorsque nous nous déplacions de Marrakech à Ben Guerir. Maintenant, je veux m’assurer que les femmes leaders se rendent compte que c’est une opportunité et en profiter pour créer leur carrière et leur chemin de vie uniques.

Nous devrions tous avoir le choix

Un autre conversation bouleversante avec une femme entrepreneur de 55 ans en France m’a aidée à réaliser que nous, les femmes à fort potentiel, avons le choix d’avoir une carrière ou non, de réussir ou non, alors que les hommes tout en ayant un potentiel élevé tout aussi talentueux n’ont pas ce choix.

En effet, comme l’a exprimé l’auteur nigérian à succès Chimamanda Ngozi Adichie dans son Ted Talk, We should all be feminists (nous devrions tous être des féministes) : «Nous rendons un mauvais service aux garçons sur la façon dont nous les élevons; nous étouffons l’humanité des garçons. La masculinité devient cette petite cage dure et nous mettons des garçons à l’intérieur de la cage. Nous apprenons aux garçons à avoir peur de la peur. Nous apprenons aux garçons à avoir peur de la faiblesse, de la vulnérabilité. Nous leur apprenons à masquer leur vrai moi, car ils doivent être comme on dit en langue nigériane,  » des hommes durs !  » Au lycée, les garçons et les filles, tous adolescents, tous avec le même montant d’argent, sortent, et puis le garçon doit toujours payer, pour prouver sa masculinité… »

J’ai entendu des mots similaires dans la bouche des dirigeants africains, en particulier dans les moments difficiles de divorce, d’épuisement professionnel, de promotion ou de perte d’emploi : « on nous apprend à avoir peur de la faiblesse, de la vulnérabilité … Nous sommes censés être des hommes d’affaires forts … La société attend de nous que nous payions, que nous prouvions notre masculinité… »

C’est quelque chose que je n’ai probablement pas réalisé avant que ceci ne soit verbalisé. Chimamanda a mis l’accent sur le langage que nous utilisons pour éduquer nos garçons, et j’encourage les femmes et les hommes à changer de langage pour élever les jeunes leaders de la génération dont l’Afrique a besoin pour prospérer.

En tant que parents de deux futurs leaders masculins africains (de six et deux ans), mon partenaire et moi nous engageons à être des modèles inspirants, en leur montrant qu’il existe plusieurs façons d’être des leaders dans ce monde, en réalisant de manière unique nos destins qui réunissent nos personnalités et nos rêves.

Les hommes en veulent plus …

Après avoir écrit la première version de cet article, je suis allée célébrer la première baby shower d’une amie de 45 ans qui a eu une carrière de premier plan dans les secteurs privé et public. Son mari, entrepreneur dans le secteur de l’hôtellerie, m’a dit : « Comme je l’envie d’être enceinte et de pouvoir donner naissance à notre enfant. J’aimerais que nous puissions partager cette grossesse. »

Eh bien, chers partenaires masculins, c’est quelque chose que la nature nous a donné et que nous ne pouvons pas déléguer, mais nous pouvons certainement trouver des moyens créatifs de partager avec vous cette expérience unique.

J’espère que ces conversations vous ont inspiré comme elles l’ont fait pour moi et que nous pourrons continuer à nous soutenir et nous apporter mutuellement dans nos parcours de leaders.

Bien cordialement,

Kenza Barrada

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