Aminata Ndiaye, vice-présidente du marketing, du digital et de l’expérience client chez Orange Moyen-Orient – Afrique.
Directrice chargée du marketing, du digital et de l’expérience client pour le géant français des télécoms dans dix-huit pays, Aminata Ndiaye couvre un portefeuille de près de 125 millions de clients représentant 5,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, et chapeaute une équipe d’une cinquantaine de personnes. Son dada ? La transformation digitale du continent, à laquelle elle a décidé de consacré sa vie. Brillante, la polytechnicienne, devenue un rouage essentiel du numéro trois des télécoms en Afrique (derrière le sud-africain MTN et le britannique Vodafone), nous offre une interview pétillante et éclairée.
Êtes-vous heureuse d’être une femme d’affaires en Afrique ?
Oui, très. Et aussi de pouvoir apporter mon expertise à ce continent qui fait face à des défis de taille. Participer à la transformation de l’Afrique a toujours été ma motivation principale, notamment en ce qui concerne la révolution digitale.
D’après le cabinet de conseil BCG, si la participation des femmes et des hommes à l’économie mondiale était égale, le PIB global pourrait croître de 6 %. Comment expliquez-vous cela ?
C’est un chiffre marquant. La femme apporte une diversité et un regard différent. Face aux difficultés rencontrées par l’entreprise, impliquer davantage de femmes aux postes de décision c’est se donner les moyens d’avoir une offre de solutions et d’alternatives auxquelles les hommes n’auraient pas forcément pensé. Donc davantage de possibilités de résoudre ces difficultés. Plusieurs études montrent que, dans le monde des affaires, les entreprises qui favorisent la mixité – notamment dans les instances de gouvernances – ont des performances supérieures aux autres.
Selon vous, le leadership féminin existe-t-il ?
Disons qu’il existe une touche féminine particulière… Les femmes ont une posture plus inclusive, plus ouverte sur les autres, plus centrée sur la valeur créée et sur l’intérêt collectif et général.
Avez-vous eu le sentiment de rencontrer des obstacles spécifiques au cours de votre carrière du fait de votre genre ?
Pas vraiment. Comme chaque être humain, nous faisons face à des challenges dans notre vie et notre carrière. En tant que femme, il existe en effet des challenges spécifiques, comme celui de concilier les casquettes de femmes leader, de mère et d’épouse. Je préfère considérer cela comme des défis plutôt que comme des obstacles ou des barrières. À titre d’exemple, en 2015, je travaillais chez Sonatel, au Sénégal, on m’a demandé de relancer Orange Money alors que j’étais en début de grossesse. Le fait de relever ces deux challenges en même temps pourrait être perçu comme une difficulté, mais pour moi ça a simplement rendu cette année 2015 plus trépidante que les autres.
Est-ce que vous pensez avoir un rôle de modèle auprès des autres femmes ?
Il y a quelques années, je ne me posais pas la question et j’avais une vision assez négative du terme « modèle ». Je le trouvais un peu prétentieux. Après avoir été invitée dans plusieurs forums pour partager mon expérience, j’ai constaté que mon influence pouvait être positive pour l’avenir de certaines jeunes femmes. J’ai aussi eu l’occasion d’assister à la restitution d’une étude sur le parcours de jeunes issus de quartiers défavorisés. Le résultat qui m’a le plus frappée c’est que l’absence de « role model » est, pour certains d’entre eux, un des facteurs qui les freinent le plus dans leur parcours. J’ai donc changé d’avis. Et, aujourd’hui, je me prête au jeu.
Êtes-vous en minorité dans les réunions de direction de votre entreprise – ou les conseils d’administration. Si c’est le cas, comment le vivez-vous ?
J’ai la chance de travailler dans un environnement inclusif pour les femmes, hier chez Sonatel, aujourd’hui chez Orange. Le conseil d’administration d’Orange en RDC compte 40 % de femmes, et c’est une femme qui le préside. J’ai moi-même siégé dans le conseil de direction de Sonatel, où il y avait également 40 % de femmes. La mixité est une réalité chez Orange, car nous sommes persuadés qu’elle est source de performances.
Existe-t-il une stratégie de genre dans votre entreprise ?
Oui. Elle s’articule autour de quatre piliers. Le premier, c’est l’accès des femmes aux postes à responsabilité et à tous les niveaux de management. Le second objectif est une représentation équilibrée dans tous les métiers, notamment techniques. Et les deux derniers piliers sont l’équité salariale et le respect de l’équilibre vie privée-vie professionnelle pour garantir aux femmes l’accès à des fonctions managériales (avec le télétravail, par exemple). Actuellement, le pourcentage de féminisation globale chez Orange est de 36 %. Un objectif de 35 % a même été fixé pour les 1000 postes de management. Au sein de mon propre comité de direction du marketing, digital et expérience client, on compte 4 femmes et 5 hommes. Nous ne sommes pas loin de la parité !
Professionnellement, y a-t-il quelqu’un qui vous inspire ?
Je n’arrive pas à avoir une seule source d’inspiration… Mais si je dois vous donner un exemple, je dis la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. Son parcours est remarquable. Elle a été ministre à deux reprises, puis directrice générale de la Banque mondiale. C’est une personnalité au caractère bien trempé et authentique, dont j’ai eu la chance et l’honneur d’écouter le retour d’expérience lors d’un forum.
Et en dehors du monde professionnel, y a-t-il une personnalité africaine qui vous inspire particulièrement ?
Je vais vous donner un nom souvent cité, mais à juste titre : Nelson Mandela. Un homme extraordinaire, d’une résilience exceptionnelle. Il a vécu la brutalité de l’un des régimes les plus barbares que le monde ait connus. Il a malgré cela gardé une grande douceur et n’a jamais perdu de son humilité. Et, surtout, il est parvenu à réconcilier toute une nation.
Quelle œuvre (film, série, disque) vous a le plus marquée ? Pourquoi ?
Lion [film de Garth Davis sorti en 2016]. C’est un film qui procure beaucoup d’émotions. J’aime les films qui parlent de l’humain, de la résilience, des parcours de vie… En plus, sans en dire trop sur le dénouement, ce film montre à quel point le digital a pris une grande importance dans nos vies aujourd’hui !
Que faites-vous pour vous détendre après une journée de travail ?
Je n’ai pas de routine, tout dépend des jours. J’essaie de faire du sport régulièrement malgré mon emploi du temps chargé ! Je suis une grande adepte : sports collectifs, tennis, karaté, athlétisme… Aujourd’hui, je pratique beaucoup la marche. Mais mon activité préférée après une journée intense reste de passer du temps avec les gens qui me sont chers.
Est-ce que vous êtes active au sein d’une association, d’un réseau féminin, ou comme mentor ?
Je participe régulièrement à des forums autour de la thématique du leadership féminin. Au sein du groupe Orange, je participe activement au programme EVE, qui vise à favoriser l’accès des femmes aux postes de responsabilité, l’égalité salariale, la féminisation des métiers techniques, la détection des talents féminins. J’ai aussi eu la chance de pouvoir faire du mentoring grâce à des événements comme « Les Héroïnes », organisé par Jeune Afrique Media Group.
À votre avis, est-ce que des forums tels que le Women in Business Meeting peuvent faire avancer les choses pour les businesswomen africaines ?
Oui. L’échange et l’entraide entre les femmes nous rendent plus fort, nous inspirent, et peuvent même être un facteur déclencheur pour les carrières de certaines d’entre nous. Par ailleurs, ces forums ont le pouvoir d’avoir un impact direct sur le secteur privé africain et d’encourager certaines initiatives pertinentes pour aider les femmes. Pour toutes ces raisons, ces plateformes constituent de réels créateurs d’opportunités.
Quelle jeune fille étiez-vous à l’âge de 20 ans ?
Je sortais de classe préparatoire Maths Sup-Maths spé, et j’entrais à Polytechnique. J’étais contente de terminer la prépa car c’était tellement de travail ! [rires]. Ça a été comme une bouffée d’oxygène d’entrer dans un monde différent, et de pouvoir étudier autre chose que des matières scientifiques. J’ai pu reprendre l’athlétisme et assister à des cours de peinture. La seule chose dont j’étais sûre à l’époque, c’était que je voulais travailler en Afrique, pour l’Afrique.
Quelle a été l’étape la plus importante de votre parcours ?
En 2006, six mois après avoir démarré ma carrière chez Accenture, j’ai décidé de démissionner pour rejoindre le groupe Orange, et plus précisément Sonatel, au Sénégal. C’est ainsi que j’ai pu réaliser mon souhait le plus cher : travailler en Afrique.
Êtes-vous là où vous voulez vraiment être aujourd’hui ?
Oui. Là où j’ai voulu être et là où je suis épanouie.